LES MORTS NE MEURENT JAMAIS
La rencontre avec un écrivain se fait parfois par des chemins détournés. C’est ma passion adolescente (et immortelle) pour Gérard Philipe qui m’avait naturellement conduit, à l’automne 2019, à la lecture du « Dernier hiver du Cid ». La voix radiophonique tant admirée de Jérôme Garcin entrait alors dans ma bibliothèque et un immense auteur s’installait dans ma vie. Alors, quand « Mes fragiles », son dernier livre, débarqua en librairies au mois de janvier, une précipitation allègre et nerveuse s’empara de mes doigts et de mes yeux (lunettes de cinquantenaire comprises). La lecture fut intense et ininterrompue. Quasi cérémoniale. Et accompagnée par l’écoute des « Leçons de ténèbres » de François Couperin, évoquées par l’auteur dans les premières pages. Les morts conjuguées de la mère et du frère de Jérôme Garcin, la révélation d’une terrifiante anomalie chromosomique dont il est le porteur, le X fragile, sont la base de ce récit d’une force non pas surhumaine comme le veut la formule mais d’une force humaine, tout simplement, merveilleusement humaine. Parce que c’est bien l’humanité qui se dégage de ce livre, comme dans toute l’œuvre de Garcin. Cette humanité faite de fragiles et de fragilités.
La tristesse, la noirceur, le désespoir auraient dû logiquement investir
les phrases de l’auteur, borner les paragraphes et les chapitres. Mais non.
Même si des larmes surprennent parfois le lecteur, la lumière de la vie éclaire
chaque page. La foi chrétienne de la mère, le talent de peintre du frère, entre
autres raisons de ne pas céder au néant de l’abattement et du renoncement, sont
des lègues que Jérôme Garcin raconte avec une grande pureté d’écriture. L’économie
des mots n’est pas de la radinerie mais du respect pour la langue et pour les
émotions qu’elle transmet. Ne jamais en faire trop, telle semble être la ligne
de conduite de celui qui n’écrit qu’à la campagne et avec la maîtrise et l’honnêteté
que réclament les chevaux qu’il monte inlassablement. On referme « Mes fragiles »
en pensant à ses propres morts. Ceux qui, comme le fait comprendre Jérôme Garcin,
ne meurent jamais.
« Mes fragiles »
de Jérôme Garcin. Éditions Gallimard. 14 Euros.
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